« Le Pacte vert et la finance durable »

 

Vincent Fromentin

Maître de conférences HDR, Centre Européen Universitaire, CEREFIGE, Université de Lorraine

 

Le 11 décembre 2019, la présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, présentait le Pacte vert pour l’Europe, qui constitue la feuille de route stratégique pour entreprendre la transition écologique et énergétique de l’Union européenne. Des objectifs climatiques spécifiques ont été fixés : réduire les émissions d’au moins 55 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2030 et atteindre la neutralité climatique en 2050. Le « Green Deal » pourrait se résumer à travers trois piliers qui soutiennent le développement durable : un pilier environnemental avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre, un pilier social pour aider (notamment) les régions de l’UE dépendantes d’activités minières et un pilier économique avec des « instruments » financiers pour financer la transition énergétique.

En lien avec ce troisième pilier, tous les secteurs et « macro-secteurs » doivent s’adapter et s’entendre pour atteindre l’objectif de neutralité climatique, et en particulier, le secteur de la finance. Il doit être en mesure de « réorienter » le financement et l’investissement vers les activités « durables ».

 

Le couple « investissement durable » et « finance durable »

Un investissement est considéré comme durable lorsqu’il contribue à un objectif environnemental, comme l’utilisation efficace des ressources énergétiques, de matières premières, d’eau et de terres, de réduction des déchets et d’émissions de gaz à effet de serre, ou encore d’effets positifs sur la biodiversité et l’économie circulaire. Il peut aussi revêtir un objectif social, et en particulier un investissement qui contribue à la lutte contre les inégalités, qui favorise la cohésion sociale, l’intégration sociale et les relations de travail. De plus, ce type d’investissement doit s’inscrire sur le long terme, ce qui signifie qu’il produit des effets à l’égard de tiers au-delà de son terme contractuel.

Ces investissements durables peuvent se mettre en œuvre par l’intermédiaire de la « finance durable » ou la « finance verte », qui est une déclinaison de la problématique du développement durable dans le domaine financier. Le rôle du secteur financier est finalement d’entreprendre et de financer une révolution industrielle, économique et sociale, avec une mobilisation de l’ensemble des acteurs de l’industrie financière. L’enjeu est d’orienter les flux financiers publics et privés pour qu’ils soient compatibles avec les objectifs climatiques de l’Accord de Paris, en mettant en place des réformes en matière de règlementation financière.

Dans son article 2.1, l’Accord de Paris stipule qu’il faut rendre « les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques». Plus récemment, le 6 juillet 2021, dans le cadre de la nouvelle stratégie de finance durable et de financement de la transition de la Commission européenne, Mairead McGuinness, commissaire chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l’union des marchés des capitaux, annonce que : « Pour atteindre nos objectifs climatiques, nous devons nous efforcer constamment de canaliser davantage de flux financiers vers une économie durable ».

 

Vers un cadre commun et davantage de transparence

Pour cela plusieurs avancées marquantes ont vu le jour, visant à développer et renforcer l’intégration des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (dits ESG) ou de l’investissement socialement responsable (ISR) dans le fonctionnement des marchés financiers et dans le financement de l’économie.

Le règlement (UE) sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers montre « qu’il est difficile pour les investisseurs finaux de comparer efficacement différents produits financiers dans différents États membres du point de vue de leurs risques environnementaux, sociaux et en matière de gouvernance ainsi que des objectifs d’investissement durable qu’ils poursuivent. Il est dès lors nécessaire de lever les obstacles existants au fonctionnement du marché intérieur et de renforcer la comparabilité des produits financiers afin d’éviter l’apparition probable d’obstacles à l’avenir ».

L’élaboration d’un système de référence, s’appuyant sur les travaux d’un groupe d’experts techniques (TEG), pour définir un investissement durable dans la transition écologique, appelé également « Taxonomie verte », est une étape importante pour standardiser les activités durables avec une dénomination commune. L’idée est de savoir si un actif peut être considéré comme durable ou non, avec une différenciation pour les activités « durables », « habilitantes » et « transitoires » ; ces dernières sont des activités pour lesquelles il n’existe pas d’alternative bas-carbone économiquement ou technologiquement viable. Cette classification permet de mieux cibler les entreprises qui œuvrent véritablement pour la transition bas-carbone, tout en renforçant leur résilience au changement climatique, en lien avec les six objectifs environnementaux définis par le TEG.

 

 

Cette pièce centrale de la stratégie réglementaire européenne pour une finance durable constitue une « boussole environnementale » de l’Europe pour les investisseurs et les entreprises. Depuis le 10 mars 2021, elle est également complétée par le règlement Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) visant à améliorer la transparence des entreprises financières, à travers l’amélioration de la comparabilité des produits financiers et une véritable orientation des investissements dans les offres durables. Dans une logique de réorientation des flux financiers, les gestionnaires d’actifs et les investisseurs institutionnels auront une meilleure connaissance des risques et des composantes vertes de leurs portefeuilles.

Concrètement, dans le cadre de la directive sur la publication d’informations non financières, les entreprises devront publier des informations extra-financières. De manière obligatoire, les entités d’intérêt public (et particulièrement les sociétés d’investissement, les établissements de crédit et les compagnies d’assurances) devront  mentionner la part de leur chiffre d’affaires, la part de leurs dépenses d’investissement et la part de leurs dépenses d’exploitation, provenant de produits ou de services associés à des activités économiques « durables ». De manière volontaire, les sociétés pourront recourir à des normes et des labels pour les produits financiers verts. Par exemple, pour émettre une « obligation verte européenne », il faut que la totalité des fonds levés respectent les exigences de la Taxonomie européenne. De même, pour tamponner un « Ecolabel » sur des produits financiers, il sera nécessaire d’atteindre un « score Taxonomie » minimum. Ces dispositifs visent à envoyer un signal clair et crédible pour faciliter les décisions de placement ou d’investissement, pour les épargnants non professionnels ou les investisseurs institutionnels.

Ces orientations et ces dispositifs visent clairement à renforcer la transparence des entreprises, des investisseurs et des marchés financiers, et à lutter contre le risque d’écoblanchissement ou de « greeenwashing ». Par exemple, très récemment, le gestionnaire d’actifs DWS, filiale de la Deutsche Bank, est accusé d’avoir surestimé le poids de ses encours respectant les critères ESG.

En effet, la transparence des entreprises et la transition énergétique et écologique vont de pair. A travers le reportingESG ou la diffusion d’informations financières et extra-financières, les entreprises doivent justifier d’une bonne « gestion responsable » ; ce qui permet de mieux appréhender les éventuelles externalités environnementales et sociales, envers toutes les parties prenantes (salariés, partenaires, sous-traitants, clients, investisseurs…). De même, les investisseurs « responsables » s’engage à atténuer les changements climatiques et à « décarboner » leurs portefeuilles.

 

L’industrie financière comme catalyseur de la transition écologique et énergétique

Une Europe durable nécessite un effort d’investissement important dans tous les secteurs de l’économie. Atteindre les objectifs climatiques et énergétiques à l’horizon 2030 nécessiterait des investissements supplémentaires de 260 milliards d’euros par an ; avec une combinaison d’investissements publics et privés, dont (seulement) 50% de cette somme proviendrait de budget de l’UE. Le secteur bancaire européen, qui finance plus de 70 % de l’économie de l’UE, joue alors un rôle important dans le financement de la transition. En complément de nouvelles lois et réglementations régissant la pollution, l’économie circulaire, l’énergie, le bâtiment, les transports…, la transition sera également dépendante de l’industrie financière. Il est nécessaire que le système financier contribue à la construction de la durabilité, en apportant des financements aux activités économiques durables, et en facilitant le « déversement » des activités qui ne sont pas durables.

Avec le « Pacte vert », la finance peut « trouver son compte » en arrêtant de financer le « brun » et réallouer vers le « vert ». En effet, avec ce segment de marché en fort développement, l’industrie financière profite de nouvelles opportunités commerciales en orientant ses clients vers la voie de la transition. Dans le même temps, le changement climatique et l’« obligation » pour les entreprises et les ménages d’atteindre des objectifs environnementaux à moyen-terme, créent de nouveaux facteurs de risque. Ces derniers doivent être évalués et gérés de manière appropriée, partant d’un postulat consistant à dire que l’alignement sur la « Taxonomie » devrait rendre le « risque de crédit plus faible ». En complément, le secteur financier devra être en mesure de « pricer » le changement climatique ; pour l’instant, les marchés ne parviennent pas à internaliser de manière optimale les impacts environnementaux. L’industrie financière rencontre des difficultés pour internaliser la « double matérialité » dans l’estimation des actifs. La double matérialité revient à étudier les impacts de l’environnement sur l’entreprise et de l’entreprise sur son environnement.

Mark Carney, gouverneur de la banque centrale d’Angleterre et directeur du Financial Security Board, en 2015, démontrait déjà que les investisseurs institutionnels  doivent prendre en compte le climat dans leurs décisions d’investissement. Cela s’explique par l’existence de courroies de transmission directes et indirectes du risque climatique en risque financier, par trois canaux :

  • Les risques physiques, liés aux dommages directement provoqués par le changement climatique (inondations, tempêtes, feu de forêt,…) qui touchent les passifs d’assurance et la valeur des actifs financiers,
  • Les risques de responsabilité (ou risque juridique), qui correspondent aux compensations à payer par une personne morale jugée responsable de conséquences du changement climatique, ce qui pourrait toucher particulièrement les extracteurs et les émetteurs de carbone,
  • Les risques de transition, provoqués par des changements de technologie ou de réglementation qui entraîneraient la chute prématurée de valeur de certains actifs en modifiant rapidement les prix relatifs.

 

Un travail de pionnier à poursuivre

Avec le « Pacte vert », l’UE a réussi à mettre en place un cadre réglementaire pour le marché de la finance durable. Avec la proposition d’une taxonomie commune, le règlement SFDR et la volonté d’émettre rapidement des obligations vertes pour lever 250 milliards d’euros en cinq ans, l’UE  propose un travail de pionnier, et voudrait s’imposer comme référence au niveau mondial. L’accent est mis sur la divulgation par les investisseurs et les entreprises des risques financiers liés au climat, qui devrait maximiser la valeur pour les actionnaires et corriger les erreurs de tarification du marché.

Toutefois, avant d’imposer « ses standards », plusieurs ajustements devront être mis en œuvre : il faudra définir une taxonomie pour la finance sociale, intégrer davantage la notion de « double matérialité », standardiser les grilles d’analyse ESG et les labels nationaux, proposer une définition commune et granulaire des risques ESG pour les régulateurs, renforcer les critères du règlement SFDR, réformer la gouvernance des banques, consolider la supervision des acteurs de la finance durable,…

Dans une logique plus structurelle, l’UE devra également intégrer la « tragédie des horizons » du changement climatique dans ses futurs positionnements, en associant durabilité au long-termisme. Tout en gardant à l’esprit que la « croissance verte » n’est pas un oxymore, et qu’elle doit être soutenue par l’industrie financière, l’Europe devra réguler davantage le système financier. Les décideurs politiques devront transformer le secteur financier, en limitant les raisonnements de rentabilité à « court terme ». En effet, aujourd’hui, les marchés financiers sont plutôt utiliséspour évaluer principalement les risques des entreprises et des actionnaires. La finance n’est pas totalement déconnectée de l’économie réelle, mais elle donne la priorité à la liquidité des échanges par rapport aux nouveaux flux d’argent vers les entreprises. Les transactions sur le marché secondaire constituent l’essentiel de l’activité des marchés financiers par rapport aux émissions sur le marché primaire. Il est nécessaire de reconnecter la finance de marché à une véritable finance d’entreprise.

Ils devront aussi orienter directement les flux financiers vers leurs priorités économiques vertes, par l’intermédiaire de la création monétaire et des banques centrales, et de l’accès au refinancement des banques, qui devront respecter des critères de soutenabilité sociale et écologique. Pour l’instant, les politiques climatiques des banques centrales restent timides, malgré des discours focalisés sur l’interventionnisme. Toutefois, on peut espérer que cet attentisme prenne fin. La présidente de la BCE, Christine Largarde, déclarait en juillet 2021 que le changement climatique sera « désormais au cœur de leur stratégie ».